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Blanche
Neige
et les Sept Torrents Conte de la première mise en eau : (du barrage hydro-électrique de) Serre-Ponçon, 16 novembre 1959 Le bulldozer est passé par là ! Ce que fut l'agglomération de l'Île de Rousset se signale simplement par quelques plaques de matériaux broyés sous les pieds des chevaux vapeur du monstre mécanique. Qui a voulu cela ? Le technicien qui, un peu plus bas, à deux kilomètres à l'aval, a conçu la réalisation titanesque de la digue en terre de Serre-Ponçon avec le concours du travailleur et de l'engin aux appétits gargantuesques ; le technicien qui vient de mater définitivement la Durance en appuyant sur un bouton. Docile, la vanne est tombée, laissant le soin aux autres de ne laisser passer qu'une partie du débit des eaux de la Durance. C'est la mise à eau ! Une mare se forme au pied de la montagne, devant les grands trous que l'on appelle la tête amont des deux galeries de dérivation provisoire. La mare devient étang, puis le plan d'eau s'agrandit, s'élève... Le lit de la Durance est envahi. Les rives disparaissent. Les eaux s'infiltrent dans les pierres qui constituaient naguère, ici les maisons de l'Île de Rousset, puis les recouvrent. Les souvenirs dont furent chargés ces lieux accueillants et fréquentés vont-ils disparaître dans le néant ? Eh bien, non ! La petite Danièle, avant de quitter une maison où la joie de vivre éclairait l'atmosphère familiale, avait, dans l'affolement du déménagement oublié sa poupée. Une belle poupée qu'elle avait baptisée Blanche-Neige parce que, le matin même où elle avait pris dans ses bras le cadeau du Père Noël, les crêtes de Dormillouse et le sommet du Grand Morgon étaient soupoudrés de blanc. Enfouie dans la cave, sous des tonnes et des tonnes de déblais consciencieusement piétinés, Blanche-Neige se trouva réduite à l'épaisseur d'une plaque de chocolat. Elle se serait une fois encore endormie si les eaux du lac naissant n'avait pas eu le pouvoir de lui faire reprendre sa taille normale et de lui redonner la vie. Lorsque ses yeux s'ouvraient tout grand, elle ne put faire le moindre geste et remarqua qu'une grosse ardoise lui servait de linceul et coinçait son petit corps contre une grosse masse qu'elle reconnut être le pilier d'entrée de la maison de sa petite amie Danièle. Elle poussa un cri, deux cris, plusieurs cris. Des molécules d'eau glissèrent dans sa bouche. Au moment où elle fermait les yeux, un chant se fit entendre au-dessus d'elle : ... "Siffler en travaillant...". L'ardoise se souleva au rythme d'intrépides accents. Blanche-Neige rouvrit ses beaux yeux et actionnant enfin ses bras et jambes pour s'asseoir sur un carreau de faïence encore intact, regarda avec étonnement ce qu'il se passait. Sept petits nains, chantant et sifflant, entreprenaient une danse folle autour d'elle. - "Blanche-Neige, je t'emmènerai au fond d'une vallée, près de jolis chalets. Mes eaux sont si claires que l'homme peut s'amuser à compter les cailloux de mon lit". C'était Clarée. - "Tu viendras aussi chez moi, Blanche-Neige, près du Lautaret. Tu entendras la tourmente mugir ses sirènes, mais tu cueilleras aussi les plus belles fleurs". C'était Guisane. - "Et moi, surenchérit Gyronde, je te ferais admirer le sommet majestueux du Pelvoux...". Guil, aussi impétueux que les autres, fit son tour et très aimablement ses offres à Blanche-Neige : - "Mon petit cousin, Aygue-Blanche, te montrera tout là-haut, le pays où les coqs picorent les étoiles". Ceyrverette, Réallon et Ubaye, eurent également de gentilles paroles à l'égard de Blanche-Neige qui souriait et dansait à petits pas, au milieu d'un cercle formé par Clarée, Guisane, Ceyrverette, Gyronde, Guil, Réallon et Ubaye. Soudain, la ronde s'arrêta net. Une grosse voix se fit entendre, celle de mère Durance : - "Avez-vous fini de vous distraire, les petits ? Vous savez que vous avez la corvée du lac à faire !...". - "Mère, répondirent les petits torrents, de fort mauvaise humeur, mais nous savons rattraper le temps perdu...". Et ils rattrapèrent si bien le temps consacré à redonner un instant de vie à Blanche-Neige que les efforts des uns et des autres créèrent une énorme lame de fond, poussant devant elle, comme un bulldozer, une masse de graviers sous laquelle disparut la belle poupée. Marcel Barès
junior
Journaliste honoraire du Dauphiné Libéré (comme son père), auteur de la série d'ouvrages "Le western champsaurin" (éd. Ophrys, Gap), et de "A l'ombre du barrage", présentation de Jean Perquelin, imp. Louis Jean1961, 127 pp. illustrées de photos Ce conte paru dans un coffret du club de l'Authentique (Htes-Alpes), est paru également à la fin de l'ouvrage "A l'ombre du barrage" édité en 1991 par le CDT 05 (Comité Départemental du Tourisme des Htes-Alpes) |
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